Roxame, un robot-peintre en 2005 Pourquoi ? Comment ?
par Pierre Berger
Présentation au Salon de printemps de la création numériqueCité des Sciences - 3 mars 2005
Les objectifs de Roxame
Le "tableau de chevalet"
Le courant principal de l'art numérique actuel est centrée sur l'interactivité et la virtualité. La plupart des artistes qui se sont essayés à "faire de l'art" avec les logiciels graphiques ont renoncé à les présenter sous forme matérielle. Vive le virtuel et la Toile.
Néanmoins, l'échec de l'e-book donne à réfléchir. L'ouvrage sur papier continue de bien se vendre. Même auprès de la "génération Nintendo" comme le montre le phénoménal succès des Harry Potter. Le traditionnel "tableau de chevalet" garde toutes ses chances, même dans des logements transformés par la présence centrale du home-cinéma.
C'est ce type d'oeuvre et ce public que vise prioritairement lRoxame, qui se donne comme critère principal de réussite que ses oeuvres soient suffisamment belles (et originales, bien sûr) pour que des "gens ordinaires" désirent les accrocher à leurs murs.
Un robot-peintre autonome et interactif... en tant que tel
Par ailleurs, l'expérience montre que les outils numériques du marché, pris comme une nouvelle forme de palette ou d'atelier pour faire des "tableaux" lassent vite la plupart des artistes aussi bien que leurs publics.
Roxame est un projet d'un autre type. Il
s'agit de réaliser sous forme numérique non pas l'atelier, mais l'artiste
lui-même, en lui donnant à la fois : - une autonomie aussi grande que possible (plus précisément, de plus en plus grande au fur et à mesure de l'avancement du projet), - une capacité d'interaction toujours plus riche.,
Nous pensons ouvrir ainsi de nouvelles perspectives à l'art pictural, et déboucher sur des oeuvres qu'aucun peintre n'aurait pu imaginer ni réaliser. Ce qui n'empêchera nullement les techniques traditionnelles de conserver leur intérêt : la photographie n'a fait disparaître ni l'aquarelle, ni la peinture à l'huile. Au contraire, elle a obligé les peintres à se remettre en question et leur a offert de nouvelles sources d'inspiration. Où en est aujourd'hui Roxame ?
Par sa nature même, le projet a des perspectives infinies. Un peintre, disait Léonard de Vinci, devrait tout savoir... Roxame sera donc toujours imparfaite, toujours "désireuse" d'en savoir plus, dans tous les volets de son existence, depuis ses aptitudes perceptives jusqu'à ses moyens matériels d'expression, en passant par le réseau actif de ses comportements voire de ses "émotions".
La meilleure façon de présenter ses capacités actuelles est de présenter les phases successives de son développement. Le jeu des formes de base
Au départ, elle a appris les bases fondamentales du graphisme numérique :générer des pixels aléatoirement, générer des lignes, des surfaces, assembler ces surfaces dans des ensembles structurés et assez harmonieux - assouplir leur raideur, grâce au flou et au dégradé.
Au cours de cette phase, elle a atteint ses deux premiers objectifs : créer des oeuvres surprenantes (même pour son auteur), créer (de temps en temps des oeuvres agréables à regarder. Le traitement des photographies
L'art c'est "un coin de nature vu par un tempérament" (Emile Zola). En attendant de pouvoir monter Roxame dans un robot autonome qui se promènerait dans la nature comme un Renoir ou un peintre du dimanche, il était intéressant et possible de lui apprendre à traiter des photographies : filtres classiques, cadrage automatique, contours, combinaisons de ces fonctions.
Pour aller plus loin, il faudrait vraiment savoir "reconnaître les formes". Roxame ne sait encore le faire que ce manière très rudimentaire. En revanche, elle dispose d'un algorithme de segmentation assez efficace pour permettre des jeux plus subtils que le coloriage.
A ce stade, il y a eu de bonnes surprises, avec des oeuvres totalement inattendues à partir des documents originaux.
Le volet linguistique : émotion et dialogue
Ce dernir volet est encore particulièrement rudimentaire. La forme de dialogue que l'on voit se dérouler à gauche de l'écran de Roxame n'est qu'une premièr esquisse, opérationnelle depuis la fin de 2004 seulement. Le vocabulaire s'enrichit tous les jours. Et c'est principalement à partir de ce niveau linguistique, dans une approche "descendante" que Roxame va progresser dans les mois à venir, après quatre ans de travaux essentiellement "ascendants", à partir des pixels.
Ce volet linguistique a une double vocation : dialogue avec le client ou le maître, d'évolution autonome des "états d'âme" de Roxame.
Le dialogue ainsi instauré n'a rien à voir avec l'interface d'utilisation d'un outil graphique par un artiste. Il vise au contraire à reprendre le mode de dialogue qui s'instaure entre un peintre et ses maîtres, entre un peintre et ses clients.
Il n'est d'ailleurs pas possible de dialoguer avec la souris pour peindre à la place de Roxame. En revanche, dans des versions futures, la souris serait intéressante pour traduire le geste de l'interlocuteur, montrer telle ou telle partie. Par exemple, sur une photo fournie par un client, que ce dernier puisse montrer la partie du cliché qu'il veut que Roxame mette en valeur. A la rigueur, dans un processus d'apprentissage, pour permettre au maître de rectifier un trait... Ce qui serait encore plus intéressant, c'est que Roxame ait une caméra pour voir son interlocuteur et interpréter ces gestes.
Avec ou sans caméra, Roxame "verra" de mieux en mieux aussi bien ses propres oeuvres que le monde extérieur (scènes à peindre, interlocuteur). Elle disposera de moyens de plus en plus puissants (et passionnants) pour l'analyse et l'évaluation de ce qu'elle voit Cette vision lui permettra de choisir les éléments les plus intéressants, pour tenir compte des gestes (voire des expressions) de ses interlocuteurs et pour évaluer la qualité de son travail et le faire évoluer en conséquence.
Quant aux "émotions", ce domaine est de plus en plus étudié par les chercheurs et mis en oeuvre dans des systèmes concrets comme le chien Aibo. Ce qui est vraiment intéressant, c'est la construction d'architectures toujours plus riches de "comportements" et de valorisations, comme en construisent aujourd'hui aussi bien des psycho-sociologues que des roboticiens.
La "personnalité" de Roxame se construit entre les deux extrêmes de ses débuts : d'une part le hasard tiré comme à pile ou face, d'autre part les ordres rigides de la programmation. Plus elle évolue, l'espace s'élargit entre ces deux pôles pour laisser grandir une autonomie intéressante et riche. Une autonomie ouverte aux conseils du maître et aux désirs des clients, aux aléas des matériaux (d'autant plus que l'on parviendra à lui donner des moyens plus puissants que les imprimantes actuelles). Une autonomie portant le développement toujours plus "volontaire" d'une oeuvre et d'une vision originale et impertinente du monde et de la peinture.
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